Nullité du licenciement pour maladie prolongée en présence d’une situation de harcèlement moral (décision de la Cour d’Appel d’Amiens du 14 mai 2020 N° RG 17/05222)

14 février 2021 | Droit du travail

Un salarié, licencié pour maladie prolongée, mais victime de harcèlement moral, obtient gain de cause et réparation de son préjudice devant la Cour d’Appel d’Amiens.

L’article L. 1152-1 du Code du Travail dispose que : « … Aucun salarié ne peut subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel … ».

L’article L. 1152-4 du Code du Travail ajoute que : « … L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral … ». Il résulte de ce texte qu’il appartient à l’employeur d’empêcher la survenance de tout fait de harcèlement moral.

Par ailleurs, il est important de noter que, lorsque l’absence prolongée d’un salarié est la conséquence d’une altération de son état de santé consécutive au harcèlement moral dont il a fait l’objet, l’employeur ne peut pas, pour le licencier, se prévaloir du fait qu’une telle absence perturbe le fonctionnement de l’entreprise ; s’il le fait, ce licenciement est nul (Cass. soc. 11 oct. 2006 n° 04-48314 ; Cass. soc. 16 déc. 2010 n° 09-41640 ; Cass. soc. 13 mars 2013 n° 11-22.082).

Récemment, la Cour d’Appel d’Amiens a explicitement rappelé le principe selon lequel le licenciement d’un salarié victime de harcèlement moral est nul dès lors qu’il présente un lien avec des faits de harcèlement moral.

Les faits :

Un salarié, Agent de contrôle qualité itinérant, passe plus de 30 années à son poste de travail sans aucun reproche, ni sanction. Puis, il devient soudainement la cible de son supérieur hiérarchique qui lui formule de multiples reproches injustifiés sur son travail et le menace régulièrement et ouvertement de licenciement.

Déjà fragilisé par un travail épuisant, le salarié est placé en arrêt de travail de façon continue pour burn-out.

Le lendemain, il se voit notifier une sanction disciplinaire, alors même qu’il n’avait jamais fait jusqu’alors l’objet d’un quelconque avertissement.

Quelques jours plus tard, les menaces de licenciement sont officiellement réitérées par écrit, alors même que le salarié est toujours placé en arrêt de travail.

Le salarié prend attache avec le Médecin du Travail. Il bénéficie d’un suivi psychologique et doit suivre un traitement médicamenteux particulièrement lourd.

Il informe son employeur de la situation, lequel n’entreprendra cependant aucune action.

Le salarié est finalement licencié pour maladie prolongée entraînant une désorganisation de l’entreprise et la nécessité de procéder à son remplacement définitif.

Il saisit le Conseil de Prud’hommes afin de contester son licenciement.

Les preuves apportées par le salarié :

– des certificats médicaux prescrivant des arrêts de travail pour « burn-out », pour « état dépressif » ou « anxiodépressif »,

– la lettre de reproches et de menaces de licenciement datant du lendemain de son arrêt de travail,

– une seconde lettre de son employeur le menaçant une nouvelle fois d’un licenciement imminent,

– la demande écrite auprès du service de santé au travail pour obtenir un rendez-vous dans laquelle il fait état de pressions exercées par son supérieur hiérarchique,

– le courrier du Médecin du Travail confirmant que son état psychologique est incompatible avec la reprise du travail,

– le courrier adressé à l’employeur en vue de lui communiquer le compte-rendu du Médecin du Travail,

– le bilan du service de consultation de souffrance au travail dont il ressort notamment qu’il a été reçu par 2 fois et qu’il est soumis à un traitement médicamenteux et à un suivi spécialisé dont la poursuite apparaît indispensable,

– des attestations de proches de longue date qui décrivent une dégradation de son état psychologique en lien avec sa situation professionnelle.

Dans le cadre de cette affaire, un débat s’est également ouvert sur la qualification des deux derniers courriers de l’employeur. Nous soutenions, à juste titre, que les courriers de l’employeur constituaient de véritables sanctions. A ce sujet, la Haute Cour juge régulièrement qu’un simple courriel de mise au point, ou de reproches, adressé au salarié peut constituer une sanction disciplinaire (Cass. soc. 6 mars 2007 n° 05-43698 ; Cass. soc. 18 mars 2015 n° 13-28481 ; Cass. soc. 3 fév. 2017 n° 15-11433).

La Cour a suivi notre argumentation en constatant que : « … le ton comminatoire de ces courriers et en particulier du second, qui loin de constituer un simple compte-rendu de l’entretien entre le salarié et son supérieur, constitue de par sa teneur et notamment la menace non équivoque de licenciement, une sanction disciplinaire, peu important son intitulé et l’absence de libellé des termes « avertissement » ou « sanction » … ».

Prenant en compte l’ensemble des pièces produites aux débats par le salarié, la Cour a estimé que ces éléments établissaient suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, étaient de nature à laisser présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral.

Par ailleurs, la défense de l’employeur n’a pas convaincu la Cour, laquelle a considéré que : « … l’employeur, dont les éléments ne contredisent pas ceux du salarié, n’établit pas que les agissements reprochés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral. Le harcèlement moral doit être tenu pour établi nonobstant le fait que le salarié ne l’ait pas dénoncé jusqu’à son dernier jour travaillé … ».

Le licenciement notifié par l’employeur pour maladie prolongée et désorganisation de l’entreprise est donc déclaré nul. Le salarié obtient 42 800 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et 3 000 € au titre des frais de procédure.

Cette décision n’est pas sans rappeler, le travail qui doit être fait, tant en demande, qu’en défense, concernant la charge de la preuve en matière de harcèlement moral.

A ce titre, l’article L. 1154-1 du Code du Travail dispose que : « … Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le Juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles … ».

Il s’agit donc d’un dispositif probatoire allégé :

– Dans un premier temps, le salarié qui s’estime victime de faits de harcèlement moral doit présenter au Juge « … des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral … » (attestations, certificats médicaux, courriels, décisions illégales, etc.) ;

– Dans un second temps, il appartient à l’employeur de « … prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs et étrangers à tout harcèlement ou discrimination … » ( soc. 6 janv. 2011 nº 08-43279 ; Cass. soc. 31 janv. 2012 n° 10-26716) ;

– Enfin, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du Code du Travail et « dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » (Cass. soc., 8 juin 2016, n°14-13418).

Dans cette affaire, le salarié, que j’ai personnellement assisté depuis son licenciement, a été en mesure d’apporter des éléments amplement suffisants pour laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral. A l’inverse, l’employeur s’est contenté de nier tout manquement, sans fournir, comme l’exige les textes et la jurisprudence, des éléments objectifs et étrangers à tout harcèlement moral.

L’auteure de cet article, Maître Edith Dias Fernandes, Avocate à Amiens en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, conseille et assiste régulièrement des employeurs et des salariés sur ce type de problématiques.