Heures supplémentaires : charge de la preuve et notion d’éléments suffisamment précis (cass. soc. 27 janvier 2021 n° 17-31.046)

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La Cour de cassation a récemment apporté des précisions quant à la notion d’éléments suffisamment précis devant être présentés par le salarié en cas de contentieux relatif au paiement d’heures supplémentaires.

Les heures supplémentaires sont des heures de travail accomplies au-delà de la durée légale du travail ou de la durée considérée comme équivalente (article L. 3121-28 du Code du Travail).

En cas de contentieux relatif à l’accomplissement d’heures supplémentaires non rémunérées, la charge de la preuve est partagée.

En effet, l’article L. 3171-4 du Code du Travail dispose que « … En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.  Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable … ».

Concrètement, le salarié n’a pas à prouver la réalisation des heures non rémunérées qu’il considère avoir travaillées (cass. soc. 24 mars 2004, n° 02-40426 D).

Il doit uniquement « présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments … » (cass. soc. 18 mars 2020, n° 18-10919 FPBRI).

A titre d’exemple, les documents susceptibles d’appuyer la demande du salarié peuvent être :

  • des décomptes de temps de présence établis par le salarié à la demande de l’employeur (Cass. soc., 10 mai 2000, n° 98-40.736),
  • des fiches de pointage (Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-40.628),
  • un planning non signé (Cass. soc., 5 janv. 2011, n° 09-71.790),
  • des récapitulatifs d’horaires rédigés par le salarié lui-même et non contresignés par l’employeur (Cass. soc., 29 janv. 2014, no 12-25.951 ; Cass. soc., 12 mars 2014, n° 12-29.141),
  • le décompte établi à partir d’agendas avec les seules heures de début et de fin de journée d’une salariée autonome (Cass. soc., 30 sept. 2015, n° 14-17.748),
  • des courriels envoyés depuis le domicile et des captures d’écran (cass. soc. 15 janvier 2015, n° 13-27072 D),
  • des décomptes d’heures écrits au crayon par le salarié (Cass. soc., 24 nov. 2010, n° 09-40.928), un document récapitulatif dactylographié non circonstancié (Cass. soc., 15 déc. 2010, n° 08-45.242), un cahier rempli par le salarié (Cass. soc., 11 juill. 2012, n° 11-15.649), une attestation relative aux horaires, mais sans précision sur la période et les jours concernés (Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-16.858),

Puis, il appartient à l’employeur de justifier des horaires de travail effectués par l’intéressé (Cass. soc., 24 avr. 2003, n° 00-44.653). Pour se disculper, l’employeur peut, par exemple, s’appuyer sur le système de pointage qu’il a mis en place ou s’appuyer sur des feuilles de présence émargées par les salariés (cass. soc. 6 octobre 2015, n° 13-27657 D).

Dans un arrêt en date du 27 janvier 2021 (nº 17-31.046 FPPRI), la Cour de cassation fait une pleine application du mécanisme de preuve partagée applicable en matière d’heures supplémentaires.

Les faits : un salarié technico-commercial qui travaillait de manière itinérante à 600 kilomètres de son siège social a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Au soutien de ses demandes, le salarié a communiqué aux débats un décompte de ses heures de travail accomplies durant la période considérée et mentionnant, jour après jour, les heures de prise poste et de fin de service, ainsi que de ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d’heures quotidien et le total hebdomadaire.

De son côté, l’employeur admettait lui-même ignorer le nombre d’heures accomplies par le salarié et ne pas les contrôler. Autrement dit, il n’était pas en mesure, malgré la charge probatoire qui lui incombe, de justifier des heures de travail accomplies par son salarié.

Pour autant, la Cour d’Appel n’a pas estimé suffisamment précis le décompte produit par le salarié, dans la mesure où il ne mentionnait pas l’éventuelle prise d’une pause méridienne.

Le salarié forme un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’Appel.

Réponse de la Cour de cassation  : « … il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant … ».

Puis, la Cour ajoute que : « … En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations, d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé … »

Il résulte de cet arrêt qu’un décompte des horaires de prise de poste et de fin de service constitue un élément suffisant précis, même en l’absence d’indication d’éventuelles pauses méridiennes.

Dans sa note explicative, la Cour de cassation précise que la notion d’éléments suffisamment précis ne peut avoir pour effet : « … de faire peser la charge de la preuve des heures accomplies sur le seul salarié, ni de contraindre ce dernier à indiquer les éventuelles pauses méridiennes qui auraient interrompu le temps de travail … ».

Cet arrêt est consultable sur le lien suivant :

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/relative_arret_46250.html

Cette décision n’est finalement pas si surprenante dans la mesure, où il n’appartient pas au salarié, mais à l’employeur de prouver la prise des temps de pause (cass. soc. 20 février 2013, n° 11-21848 et 11-21599).

L’auteure de cet article, Maître Edith Dias Fernandes, Avocate à Amiens en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, conseille et assiste régulièrement ses clients sur ce type de problématiques.

 

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