Les télétravailleurs ont-ils droit aux tickets restaurants ? incertitudes et divergences

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Mise à jour 21 avril 2021

La crise sanitaire ravive la thématique du principe de l’égalité de traitement, notamment en ce qui concerne la question des télétravailleurs et du droit aux tickets restaurants.

Le principe d’égalité de traitement n’interdit pas toute différenciation entre salariés effectuant un même travail ou placés dans une même situation. Certaines différences de traitement sont légalement prévues. D’autres peuvent être prévues par l’employeur ou encore instaurées par un accord collectif.

Concrètement, l’employeur peut opérer des différenciations à condition de les fonder sur des critères objectifs, pertinents, matériellement vérifiables et étrangers à toute discrimination.

Face au recours massif au télétravail, certaines sociétés ont fait le choix de réserver les tickets restaurants aux seuls salariés travaillant sur site. Cette décision est-elle légale ? La réponse n’est pas évidente.

Au préalable, on rappellera que l’attribution de titres-restaurant n’est pas légalement obligatoire. La question du droit des télétravailleurs à en bénéficier ne se pose donc pas si l’employeur n’en attribue pas du tout à ses salariés.

L’article L. 1222-9 du Code du travail dispose que : « … Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise … ».

Par ailleurs, l’article 4 de l’ANI relatif au télétravail du 19 juillet 2005 précise que les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits, à situation comparable, que ceux qui exécutent leurs fonctions dans les locaux de l’entreprise.

C’est notamment sur le fondement de ces dispositions que le Tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement du 30 mars 2021, a condamné une société à attribuer aux salariés placés en télétravail depuis le début de la crise sanitaire, un titre restaurant pour chaque jour travaillé pour lequel le repas est compris dans leur horaire de travail.

A ce sujet, le Tribunal relève que « l’objet du titre-restaurant est de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il accomplit son horaire de travail journalier comprenant un repas, mais non sous condition qu’il ne dispose pas d’un espace personnel pour le préparer ».

Par ailleurs, il souligne que « les conditions d’utilisation des titres-restaurants sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail » puisqu’elles ont pour objectif « de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas » et que, à cet égard, « les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site ».

En outre, le Tribunal Judiciaire s’appuie également expressément sur la position adoptée par le Ministère du Travail dans son questions-réponses « Télétravail en période de Covid », du 20 mars 2020. Il y est en effet précisé que « dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurants, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes ».

Par conséquent, le Tribunal Judiciaire de Paris juge que le refus de la société d’attribuer des titres-restaurants aux salariés en télétravail ne repose sur aucune raison objective en rapport avec l’objet des titres-restaurants et la violation du principe d’égalité de traitement est retenue.

Cette position est diamétralement opposée à une décision rendue par le Tribunal Judiciaire de Nanterre une vingtaine de jours auparavant.

En effet, le 10 mars 2021, le Tribunal Judiciaire de Nanterre a jugé que les télétravailleurs pouvaient être exclus du bénéfice des titres-restaurants faute d’être dans une situation comparable à celle des travailleurs sur site.

Plus précisément, ce Tribunal a retenu que la situation des télétravailleurs et celle des salariés travaillant sur site qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise ne sont pas comparables, dans la mesure où les seconds font face à un surcoût lié à la restauration en dehors de leur domicile qui justifie l’octroi de titres-restaurants par l’employeur, surcoût auquel ne sont pas confrontés les salariés placés en télétravail à leur domicile.

Nous sommes donc en présence de 2 positions, celle du Tribunal Judiciaire de Paris et celle du Tribunal Judiciaire de Nanterre, radicalement opposées.

A la question les télétravailleurs doivent-ils bénéficier de tickets restaurants au même titre que les travailleurs sur ce site ? le doute est donc entier.

La position du Tribunal Judiciaire de Paris me semble la plus en adéquation avec la réalité, c’est-à-dire un repas qui s’inscrit dans la cadre d’une sujétion professionnelle, mais également la plus conforme à l’esprit des textes et aux positions exprimées par le Ministère du travail et les Urssaf en matière de télétravail.

D’ailleurs, il est intéressant d’observer que dans les 2 affaires les télétravailleurs bénéficiaient avant la crise des tickets restaurants au même titre que les travailleurs sur site. L’employeur n’admettait-il pas ainsi, implicitement mais nécessairement, que rien ne justifie une différence de traitement entre ces 2 type de travailleurs … ? Le recours massif au télétravail peut-il à lui seul justifier un tel revirement de position ?

Affaire à suivre …

Mise à jour 21 avril 2021 : à titre d’information concernant le régime social des frais engagés par le salarié en situation de télétravail, le Bulletin Officiel de Sécurité Sociale – BOSS –  opposable à partir du 1er avril 2021 précise (§ 1800) : « au regard des dispositions de l’article 4 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail, lorsque les travailleurs bénéficient des titres restaurants, il peut en être de même pour les télétravailleurs à domicile, nomades ou en bureau satellite. Ces titres restaurants bénéficient des mêmes exonérations, sous les mêmes conditions, que pour les autres travailleurs« .

L’auteure de cet article, Maître Edith Dias Fernandes, Avocate à Amiens en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, conseille et assiste régulièrement ses clients sur ce type de problématiques.

 

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