Covid-19 : la Cour d’Appel de Paris durcit les conditions pour imposer des RTT aux salariés

2 mai 2021 | Droit du travail

Les mesures dérogatoires, notamment en matière de droit social, sont sources de divergences et d’insécurité juridique, en voilà un nouvel exemple inattendu.

La Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 1er avril 2021, (Pôle 6, Chambre 2, RG nº 20/12215), juge que l’employeur qui impose des jours de RTT aux salariés en application du dispositif dérogatoire mis en place dans le cadre de la crise sanitaire doit justifier de difficultés économiques liées à la propagation du virus.

 

1°/ Rappel des dispositions dérogatoires  en matière de congés payés et de jours de repos  :

Depuis le printemps 2020, le gouvernement est habilité à légiférer par ordonnance « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 » et à prendre des mesures dérogatoires notamment en matière de durée du travail, de congés et de repos (Loi 2020-290 du 23 mars 2020, art. 11, 1°, b).

Sur ce fondement, une ordonnance du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jour de repos permet aux employeurs d’aménager unilatéralement la prise de jours de RTT et de certains autres jours de repos si l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 2 et 3).

Ainsi, « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 », un accord d’entreprise ou, à défaut, un accord de branche peut déterminer les conditions dans lesquelles l’employeur est autorisé, de façon unilatérale, à imposer la prise de congés payés acquis ou de modifier les dates d’un congé déjà posé.

Un tel accord fixe :

– le nombre de jours de congés payés concernés dans la limite de 6 jours ouvrables ;

– le délai de prévenance du salarié par l’employeur sans pouvoir le réduire en deçà d’1 jour franc.

Par ailleurs, « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 », l’employeur peut, de manière unilatérale, décider ou modifier les dates de certains jours de repos, dans la limite de 10 jours. Ces jours de repos sont :

– ceux prévus par accord collectif, tels que les accords portant sur la réduction du temps de travail (RTT) : dans ce cas, ne sont concernés que les jours de repos effectivement acquis par le salarié et dont la date de prise est habituellement laissée au choix du salarié ;

– ceux prévus par une convention de forfait ;

– ceux découlant des droits affectés sur le compte épargne-temps (CET) du salarié : dans ce cas, l’employeur impose l’utilisation de ces droits par la prise de jours de repos.

Dans toutes ces situations, l’employeur doit respecter un délai de prévenance d’au moins 1 jour franc.

Ces dérogations en matière de congés payés et de jours de repos sont en principe applicables jusqu’au 30 juin 2021, mais, d’après le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, elles devraient être prolongées jusqu’au 31 octobre 2021.

 

2°/ Position de la Cour d’Appel de Paris :

Dans l’affaire soumise à la Cour d’Appel de Paris, l’employeur, le Groupe SANOFI, a imposé à ces salariés la prise de 10 jours de repos ou de RTT. Pour les salariés ne disposant pas, ou pas suffisamment, de tels jours, des jours épargnés sur les CET ont été automatiquement prélevés.

Contestant ces mesures, la Fédération Nationale des Industries Chimiques CGT (FNIC-CGT) a saisi le Tribunal Judicaire de Paris en référé afin de faire constater l’existence d’un trouble manifestement illicite et pour que les salariés soient recrédités des jours imposés ou prélevés sur leurs CET.

Selon le syndicat, le Groupe Sanofi :

– ne justifiait pas de difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19, de sorte qu’il ne pouvait pas faire application du dispositif dérogatoire ci-dessus évoqué,

– ne pouvait pas écarter par ce biais l’application du dispositif d’activité partielle mis en place pour les salariés vulnérables ou devant rester à domicile pour garde d’enfants, celui-ci s’imposant à lui.

Pour sa défense, le Groupe SANOFI invoquait la nécessité de s’adapter face à une augmentation inattendue de l’absentéisme tenant au fait qu’une partie des salariés se trouvaient à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail, ainsi que la nécessité d’aménager les espaces de travail et d’adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires.

La Cour Appel de Paris donne raison à la Fédération sur les 2 points.

Tout d’abord, elle juge que l’obligation faite aux salariés de prendre 10 jours de repos est limitée aux entreprises subissant des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19.

A ce titre, elle rappelle que l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit « expressément et clairement » que la prise des mesures dérogatoires ne peut intervenir que lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19.

D’après la Cour, le Groupe aurait dû rapporter la preuve qu’il rencontrait des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, ce qui n’a pas été le cas.

La Cour d’Appel de Paris juge donc que les mesures prises par l’employeur constituent un trouble manifestement illicite.

Par ailleurs, concernant les salariés vulnérables ou contraints de garder leurs enfants, le trouble manifestement illicite a également été retenu. La Cour estime a à ce titre que l’employeur ne pouvait pas appliquer le régime dérogatoire relatif aux jours de repos à ces salariés puisque des dispositions impératives prévoient que ces derniers « sont placés en position d’activité partielle ».

Cet arrêt, vivement critiqué, a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Affaire à suivre …

Maître Edith Dias Fernandes, Avocate à Amiens en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, conseille et assiste régulièrement ses clients sur ce type de problématiques.