Solidarité financière du donneur d’ordre : demander le PV de travail dissimulé

24 mai 2021 | Droit de la sécurité sociale

A l’occasion de deux arrêts du 8 avril 2021 traitant de la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre (n° 19-23728 FSPR et n° 20-11126 FSPR), la Cour de cassation a jugé que l’URSSAF doit produire le procès-verbal (PV) constatant le travail dissimulé devant les juridictions contentieuses si le donneur d’ordre en conteste l’existence ou le contenu.

 

Rappel sur l’obligation de vigilance du donneur d’ordre :

Dans le but de prévenir le travail dissimulé, la responsabilité du donneur d’ordre (ou du maître d’ouvrage) peut être mise en œuvre s’il n’a pas vérifié la régularité de la situation de son cocontractant vis-à-vis du Code du Travail lors de la conclusion du contrat, ainsi que tous les 6 mois jusqu’à la fin de l’exécution du contrat (articles L. 8222-1 et s., D. 8222-5 et L. 8222-5 du Code du Travail).

Il doit également être vérifié, lors de la conclusion d’un contrat avec un employeur en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que ce co-contractant est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement auprès des Urssaf (article L. 243-15 du Code de la Sécurité Sociale).

Ainsi, une obligation de vigilance pèse sur le donneur d’ordre, laquelle l’oblige, pour tout contrat d’au moins 5 000 € hors taxe, à vérifier que son co-contractant a effectué toutes les formalités et démarches énumérées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du Travail et qu’il est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement auprès de l’URSSAF.

À défaut, le donneur d’ordre commet sciemment le délit de recours aux services d’une personne exerçant le travail dissimulé.

Concrètement, le cocontractant (autre qu’un particulier) doit se faire remettre lors de la conclusion et tous les 6 mois jusqu’à la fin de son exécution (article D. 8222-5 du Code du Travail) :

– une attestation de fourniture de déclarations sociales émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions sociales incombant au cocontractant et datant de moins de six mois ;

– lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, le cocontractant doit s’être fait remettre l’un des documents suivants :

*un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis),

*une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers,

*un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au RCS ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente,

*un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes physiques ou morales en cours d’inscription.

Seule la remise de ces documents permet au donneur d’ordre de s’acquitter de l’obligation de vigilance mise à sa charge (article L. 8222-1 du Code du Travail). Une remise partielle ou la remise d’autres documents ne le permet pas et l’Urssaf est alors fondée à appliquer la solidarité financière du donneur d’ordre avec le co-contractant.

Il pèse également sur le donneur d’ordre une obligation d’injonction l’obligeant, lorsqu’il a été informé par écrit, par un agent de contrôle, un syndicat ou une institution représentative du personnel, de la situation irrégulière dans laquelle se trouve son co-contractant au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du Travail, à lui demander de régulariser sans délai sa situation (articles L. 8222-5 et R. 8222-2 du Code du Travail).

Le donneur d’ordre qui ne respecte pas ses obligations de vigilance et d’injonction est tenu, solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé :

-au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus au Trésor Public et aux organismes de protection sociale ;

-au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues au titre de l’emploi de travailleurs dissimulés ;

-le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques reçues.

 

Mise en jeu de la responsabilité financière du donneur d’ordre :

La responsabilité solidaire du donneur d’ordre peut être engagée dès lors que le cocontractant a fait l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé.

Dans une telle hypothèse, l’Urssaf est fondée à procéder à la mise en œuvre de la solidarité financière sans qu’il soit nécessaire que la société sous-traitante ait fait l’objet d’une condamnation définitive.

Toutefois, dans le cadre de 2 décisions de la Cour de cassation du 8 avril 2021, une précision importante a été apportée.

 

Problématique de la communication du PV de travail dissimulé par l’Urssaf :

En pratique, dans le cadre d’un contentieux, l’Urssaf refuse régulièrement de produire aux débats le procès-verbal de travail dissimulé concerné et affirme qu’elle n’a aucune obligation à ce titre.

Par deux arrêts du 8 avril 2021, la Cour de cassation vient (enfin !) de mettre fin à cette situation.

Pour la Cour de cassation, si la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal de travail dissimulé établi à l’encontre du co-contractant, en revanche, l’Urssaf est tenue de produire le procès-verbal de travail dissimulé devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document.

Dans les deux affaires, la Cour d’Appel avait relevé que le procès-verbal de travail dissimulé n’était pas produit aux débats et en déduisait donc, à juste titre, que les juges du fond n’ont donc pas été en mesure de vérifier que la société sous-traitante en cause avait bien fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.

Par conséquent, faute pour l’Urssaf de produire ce procès-verbal, elle ne peut, dans les deux affaires en cause, mettre en œuvre la solidarité financière et les redressements effectués à l’encontre des donneurs d’ordre doivent être annulés.

Cette position de principe est plus que bienvenue pour les droits de la défense !

L’auteure de cet article, Maître Edith Dias Fernandes, Avocate à Amiens en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, conseille et assiste régulièrement ses clients sur ce type de problématiques.